Le magasin Auchan avant Noel: commentaire remis en ordre.
Entraînement au commentaire écrit:
Le magasin Auchan avant noël, pages
34-35
Dans Regarde les Lumières mon amour, Annie Ernaux a pour projet de
décrire ce qui se passe dans un hypermarché, en l’occurrence le Auchan de
Cergy-Pontoise qu’elle fréquente régulièrement et de livrer ses réflexions sur
le fonctionnement de la grande distribution. Elle a par ailleurs consacré une
grande partie de son œuvre à l’évocation du droit des femmes. Il n’est pas
étonnant que l’hypermarché soit pour elle une aire d’observation des rôles attribués
à l’homme et à la femme dans notre société. Dans cette page datée du 8 novembre
2012, alors qu’elle commence tout juste son journal-essai, nous montrerons qu’elle
développe déjà une vision très critique relevant du féminisme militant. En
effet, elle s’attache d’abord à dénoncer une réalité très mercantile avant
d’adopter un regard plus polémique encore.
Il est clair
dans cette page qu’à l’approche des fêtes de fin d’année tout est fait dans
l’hypermarché pour inciter les clients à la dépense. Ils sont objectivement
orientés par une signalétique grossière. Annie Ernaux va dénoncer cette réalité
extrêmement mercantile bien loin de la pure magie de Noël.
La
date du 8 novembre introduit la description des rayons réaménagés pour les
achats de Noël. L’auteure souligne la continuité consumériste de l’hypermarché
qui ne doit connaître aucune pause en la matière : «Halloween étant
passée, tout est en place pour Noël ». Les fêtes de fin d’année sont
l’occasion d’une débauche de consommation que rappelle l’ « énorme
échafaudage de bouteilles décorées »,- le mot « échafaudage »
suggérant que comme une construction trop grande, il pourrait s’effondrer-, et l’énumération très longue des jouets,
« des poupées de haut en bas d’un rayon de dix mètres ».
Les
éléments d’affichage et signalétique orientant les clients sont précisément
décrits : la prédominance de ces données est matérialisée par les prix en
caractères gras et les annonces promotionnelles ( « A perte de vue des
panneaux de couleurs jaune avec PROMO en énormes lettres noires. ») ou
bien les guillemets pour désigner le nom des rayons ou des jouets
« garçons », « filles », ou bien encore la litanie des
déterminants possessifs « ma petite supérette », « mes
accessoires de ménage », ma mini-tefal », « mon fer à
repasser »… L’empilement mercantile
des produits est ainsi mis en évidence. Les visiteurs du magasin sont
clairement incités à la consommation.
Progressivement,
le client est dirigé vers le rayon phare en cette fin d’année : le rayon
des jouets et constate que l’agencement de ce rayon est soigneusement étudié,
comme le prouve l’adverbe « rigoureusement », de façon à séparer deux
types de consommateurs : les garçons et les filles : « séparés
en garçons et filles ».
L’opposition
entre les jouets destinés aux filles et ceux destinés aux garçons est visible
d’un point de vue syntaxique, notamment avec la longueur des deux phrases qui
contiennent l’énumération des jouets : « Aux uns … violents »,
« Aux autres Ma baby-nurse », fondées sur une opposition des sexes
matérialisée par le traditionnel partage des activités humaines, aux femmes la
maison, les enfants, le « care » : « l’intérieur, le
ménage, la séduction, le pouponnage », aux hommes la guerre, les tâches
tournées vers l’extérieur et la violence en général, « le bruit et la
fureur ».Les couleurs aussi renforcent cette opposition, aux garçons sont
attribuées les couleurs vives , « des rouges, verts, jaunes
violent », aux filles « les teintes sucrées ».
Ce procédé de distinction, d’opposition entre
les jouets destinés aux filles et aux garçons n’échappe pas à Annie Ernaux qui
le dénonce ouvertement en sortant du ton neutre de la description. En effet le
texte va prendre une tournure plus polémique.
Ce registre dénonciateur apparaît
par le fait qu’à à la fin de l’extrait l’auteure s’implique en tant que femme :
« Je suis agitée de colère… ». La coupe semble pleine pour
l’écrivaine qui intervient subjectivement dans l’anaphore du pronom
« je » affirmant sa « colère » et son
« impuissance » dans les trois dernières phrases du texte mais aussi
des sentiments extrêmes relayés par la mention du groupe activiste des « Femen »
qu’elle invite à saccager les rayons des jouets : « faire un beau
saccage de tous ces jouets de transmission ». Cette rhétorique polémique
joue sur le vocabulaire du terrorisme, seule arme selon elle, contre un
phénomène modifiant en profondeur l’inconscient des consommateurs, puisque
selon elle, les rayons sexistes des magasins « façonnent nos
inconscients ».Elle affirme clairement au futur de l’indicatif que si les
Femen organisaient une telle action, elle participerait : « J’en
serai. »Ce qui prouve le caractère militant du texte.
Annie Ernaux va se livrer à une
dénonciation du sexisme pleine d’ironie. L’antithèse et le parallélisme qui opposent
filles et garçons dans le balancement entre les indéfinis
« Aux-uns », et « aux autres » a pour fonction de dénoncer
la compartimentation étroite des sexes dès le plus jeune âge.
L’énumération des jouets destinés aux garçons
repose sur l’allitération en « [v] » « voitures, avions verts, violents » qui imitent le vrombissement de ces engins et
insistent sur leur violence alors que l’énumération des jouets féminins
scandent constamment le déterminant possessif « mon, ma »mettant
ainsi en relief le son [m] à connotations maternelles, faisant des petites
filles, des futures mamans en puissance : « tout pareil que maman en
mini. »
Des hyperboles révèlent l’aspect
dégradant pour Annie Ernaux des jouets sexistes : le « sac aliments »
est particulièrement visé puisque la description « entre étron et
vomi », et l’adverbe « hideusement » évoque davantage un sac
à déjections que de la nourriture, soulignant ainsi combien Annie Ernaux
déteste ces jouets que l’on réserve aux filles.
Enfin,
l’auteure déchaîne même son ironie en reprenant à son compte, sans guillemets,
des propos rappelant des slogans publicitaires, « tout pareil que maman en
mini », montrant bien qu’elle est scandalisée par le fait que l’on assigne
aux filles uniquement les tâches ménagères, les soins des enfants et la
séduction : « se faire une beauté ». Elle remarque avec ironie
que seule la panoplie de docteur offre aux filles une autre perspective et
encore a-t-elle toujours un rapport aux soins comme le souligne l’emploi de
l’adverbe « presque » dans la phrase « Entrevoir une trousse de
docteur au milieu de cet arsenal ménager me soulage presque ». Le
parti-pris de l’auteure est donc clairement affirmé : elle dénonce de
manière très véhémente le sexisme mis en place par la grande distribution et
invite ses lecteurs à le combattre pour changer les mentalités et la société
afin qu’elle devienne plus égalitaire.
Ce texte est féministe car il
démontre progressivement et de plus en plus énergiquement, le mécanisme
d’avilissement des individus qui, de la compartimentation spatiale à
l’aliénation des esprits, programme la distinction des sexes étroitement associés aux genres. Dans Au
bonheur des dames, roman qui raconte la naissance du phénomène des grands
magasins à la fin du XIXème siècle, Zola
montrait déjà combien les femmes étaient les proies d’un mercantilisme
débridé organisé par des hommes. Annie Ernaux invite indirectement les parents
à ne plus véhiculer d’images sexistes et à s’émanciper des préjugés qui
réserveraient telles activités aux filles et
telles autres aux garçons.
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