Pour les absents le vendredi 21 décembre: sujet de bac à faire pour la rentrée
A – Montesquieu,
Lettres persanes, lettre 99, 1721.
B – Denis
Diderot, Regrets sur ma vieille robe de chambre ou Avis à ceux qui ont
plus de goût que de fortune, 1769.
C – Honoré
de Balzac, Physiologie de la toilette, 1830.
D – Louis
Guilloux, Le Sang noir, 1935.
Questions sur le corpus
> 1. Que
nous disent les éléments vestimentaires présents dans ces quatre textes, de
leurs propriétaires et des personnages qui les entourent ? (3 points)
> 2. Dans
quelle mesure ces textes prêtent-ils à sourire ? (3 points)
Travail d'écriture (14 points)
:
- Commentaire
Vous commenterez l'extrait des Lettres persanes de Montesquieu (texte 1) en vous aidant du parcours de lecture suivant :
- vous analyserez, dans le texte, la mise en valeur des variations de la mode.
- vous étudierez la dimension satirique du texte. - Dissertation
L'argumentation directe est-elle le moyen le plus efficace de critiquer l'homme et la société ?
Vous répondrez de manière construite et argumentée en prenant appui sur les textes du corpus, les textes que vous avez étudiés en classe et sur vos lectures personnelles. - Invention
Vous êtes un objet cher à votre propriétaire. Après vous être présenté, vous dénoncez la manière dont il vous traite et vous utilise.
Votre texte sera structuré autour d'arguments précis et illustrés qui ouvriront sur une réflexion de portée générale (maxime, sentence, morale...).
DOCUMENT
A
L’auteur imagine une correspondance,
au xviiie siècle, entre deux Persans qui observent Paris et ses
habitants. Ils évoquent, avec un regard neuf et naïf, les mœurs et coutumes des
Parisiens, non sans ironie…
Rica à Rhédi, à Venise
Je trouve
les caprices de la mode, chez les Français, étonnants. Ils ont oublié comment
ils étaient habillés cet été ; ils ignorent encore plus comment ils le seront
cet hiver. Mais, surtout, on ne saurait croire combien il en coûte à un mari
pour mettre sa femme à la mode.
Que me servirait
de te faire une description exacte de leur habillement et de leurs parures ?
Une mode nouvelle viendrait détruire tout mon ouvrage, comme celui de leurs
ouvriers, et, avant que tu eusses reçu ma lettre, tout serait changé.
Une femme
qui quitte Paris pour aller passer six mois à la campagne en revient aussi
antique que si elle s’y était oubliée trente ans. Le fils méconnaît le portrait
de sa mère, tant l’habit avec lequel elle est peinte lui paraît étranger ; il
s’imagine que c’est quelque Américaine qui y est représentée, ou que le peintre
a voulu exprimer quelqu’une de ses fantaisies.
Quelquefois,
les coiffures montent insensiblement, et une révolution les fait descendre tout
à coup. Il a été un temps que leur hauteur immense mettait le visage d’une femme
au milieu d’elle-même. Dans un autre, c’étaient les pieds qui occupaient cette
place : les talons faisaient un piédestal qui les tenait en l’air. Qui pourrait
le croire ? Les architectes ont été souvent obligés de hausser, de baisser et
d’élargir leurs portes, selon que les parures des femmes exigeaient d’eux ce
changement, et les règles de leur art ont été asservies1 à ces
caprices. On voit quelquefois sur un visage une quantité prodigieuse de mouches2,
et elles disparaissent toutes le lendemain. Autrefois, les femmes avaient de la
taille et des dents ; aujourd’hui, il n’en est pas question. Dans cette
changeante nation, quoi qu’en disent les mauvais plaisants, les filles se
trouvent autrement faites que leurs mères.
Il en est
des manières et de la façon de vivre comme des modes : les Français changent de
mœurs selon l’âge de leur roi. Le monarque pourrait même parvenir à rendre la
nation grave, s’il l’avait entrepris. Le Prince imprime le caractère de son
esprit à la Cour ; la Cour, à la Ville ; la Ville, aux provinces. L’âme du
souverain est un moule3 qui donne la forme à toutes les autres.
De Paris, le
8 de la lune de Saphar, 1717.
Montesquieu,
Lettres persanes, lettre 99, 1721
1.
Asservies : soumises. 2. Mouches : petites rondelles de tissu noir que les
dames se collaient sur le visage par coquetterie. 3. Moule : modèle type.
DOCUMENT
B
Catherine II ayant offert à Diderot
une somptueuse robe de chambre écarlate, l’écrivain s’est débarrassé de
l’ancienne et le regrette amèrement !
Pourquoi ne
l’avoir pas gardée ? Elle était faite à moi, j’étais fait à elle. Elle moulait
tous les plis de mon corps sans le gêner ; j’étais pittoresque et beau.
L’autre, raide, empesée, me mannequine. Il n’y avait aucun besoin auquel sa
complaisance1 ne se prêtât. Un livre était-il couvert de poussière,
un de ses pans s’offrait à l’essuyer. L’encre épaissie refusait-elle de couler
de ma plume, elle présentait le flanc. On y voyait tracés en longues raies
noires les fréquents services qu’elle m’avait rendus. Ses longues raies
annonçaient le littérateur, l’écrivain, l’homme qui travaille. À présent, j’ai
l’air d’un riche fainéant, on ne sait qui je suis.
Sous son
abri, je ne redoutais ni la maladresse d’un valet, ni la mienne, ni les éclats
du feu, ni la chute de l’eau. J’étais le maître absolu de ma vieille robe de
chambre ; je suis devenu l’esclave de la nouvelle […].
Ma vieille
robe de chambre était une avec les autres guenilles2 qui
m’environnaient. Une chaise de paille, une table de bois, une tapisserie de
Bergame, une planche de sapin qui soutenait quelques livres, quelques estampes3
enfumées, sans bordure, clouées par les angles sur cette tapisserie ; entre ces
estampes trois ou quatre plâtres suspendus formaient avec ma vieille robe de
chambre l’indigence4 la plus harmonieuse.
Tout est
désaccordé. Plus d’ensemble, plus d’unité, plus de beauté.
Denis
Diderot, Regrets sur ma vieille robe de Chambre, 1769
1.
Complaisance : désir d’être agréable, aimable. 2. Guenilles : vêtements sales
et en lambeaux. 3. Estampes : images imprimées. 4. Indigence : grande pauvreté,
misère.
DOCUMENT
C
Sous
l’Ancien Régime, chaque classe de la société avait son costume : on
reconnaissait à l’habit le seigneur, le bourgeois, l’artisan. Alors, la cravate
(si l’on peut donner ce nom au col de mousseline et au morceau de dentelle dont
nos pères enveloppaient leur cou) n’était rien qu’un vêtement nécessaire,
d’étoffe plus ou moins riche, mais sans considération, comme sans importance
personnelle. Enfin les Français devinrent tous égaux dans leurs droits, et
aussi dans leur toilette, et la différence dans l’étoffe ou la coupe des habits
ne distingua plus les conditions. Comment alors se reconnaître au milieu de
cette uniformité ? Par quel signe extérieur distinguer le rang de chaque
individu ? Dès lors était réservée à la cravate une destinée nouvelle : de ce
jour, elle est née à la vie publique, elle a acquis une importance sociale ;
car elle fut appelée à rétablir les nuances entièrement effacées dans la
toilette, elle devint le critérium auquel on reconnaîtrait l’homme comme il
faut et l’homme sans éducation. […] Tant vaut l’homme, tant vaut la cravate.
Et, à vrai dire, la cravate, c’est l’homme ; c’est par elle que l’homme se
révèle et se manifeste.
[…]
Car la
cravate ne vit que d’originalité et de naïveté ; l’imitation,
l’assujettissement aux règles la décolorent, la glacent, la tuent. Ce n’est ni
par étude ni par travail qu’on arrive à bien ; c’est spontanément, c’est
d’instinct, d’inspiration que se met la cravate. Une cravate bien mise, c’est un
de ces traits de génie qui se sentent, s’admirent, mais ne s’analysent ni ne
s’enseignent. Aussi, j’ose le dire avec toute la force de la conviction, la
cravate est romantique dans son essence ; du jour où elle subira des règles
générales, des principes fixes, elle aura cessé d’exister.
Honoré de
Balzac, Physiologie de la toilette, 1830.
DOCUMENT
D
L’histoire se déroule en 1917 dans
une ville de province où enseigne Cripure, un professeur de philosophie moqué
par ses élèves, notamment en raison de la taille de ses pieds.
Peut-être
une fois de plus parlaient-ils de ses pieds légendaires ?
Un jour,
bien avant la guerre, un cirque était arrivé en ville, avec un géant. Or, les
souliers du géant n’étaient rien en comparaison de ceux de Cripure, chacun
avait pu s’en rendre compte, le directeur du cirque ayant fait exposer les
souliers du géant dans la vitrine du plus grand bottier de la ville – qui était
celui de Cripure précisément.
Quand on lui
avait apporté ces souliers, le bottier s’était moqué. Au directeur du cirque,
incrédule, il avait affirmé : « J’ai mieux que cela ! » Et courant à son
atelier il en était revenu avec les souliers de Cripure que Maïa1
venait précisément de lui apporter à réparer. Le directeur du cirque avait dû
s’avouer battu. Il s’était montré curieux de connaître le « phénomène ».
Songeait-il à l’engager ? Il en avait plaisanté un instant avec le bottier qui
lui avait vivement conseillé, le cas échéant, d’engager aussi Maïa, car les
deux faisaient la paire. Mais quand le directeur du cirque avait appris que le
propriétaire de ces « étonnants godillots » était un professeur, et de
philosophie ! il avait simplement haussé les épaules et parlé d’autre chose.
Trois jours
entiers, les souliers du géant étaient demeurés dans cette vitrine, monstrueuse
attraction qui, sans doute, avait porté ses fruits en entraînant plus d’un
badaud au cirque, mais aussi avait révélé à ceux qui l’ignoraient encore
l’existence, quelque part, dans un faubourg de la ville, d’un homme de beaucoup
d’esprit, d’un savant, dont les pieds étaient encore plus grands que ceux du
géant.
Durant ces
trois jours, le bottier était plus d’une fois revenu à l’atelier prendre les
souliers de Cripure, afin de les montrer à quelque client qui voulait « se
rendre compte par soi-même ». Les souliers étaient ainsi passés de mains en
mains. On les avait jaugés, soupesés, mesurés de l’œil et du doigt, comparés à
ceux du géant, avec des commentaires où l’apitoiement se mêlait à la moquerie.
Les psychologues prétendaient que l’infirmité de Cripure, en l’obligeant à se
replier sur lui-même, en avait fait l’homme d’esprit qu’il était et qu’ainsi on
pouvait dire qu’il tirait tout son esprit de ses pieds. D’autres, jouant au
savant, se grattaient le menton, cherchant quelle maladie pouvait bien engendrer
une difformité aussi triste. Quelqu’un ayant prononcé le mot d’acromégalie, on
s’était fait expliquer la chose par un pharmacien. Le temps de consulter un
dictionnaire de médecine et le pharmacien était revenu chez le bottier
reluisant de science. Cette maladie mystérieuse, c’était une glande dite
apophyse qui l’engendrait, quand elle fonctionnait mal. Toutes les extrémités :
les pieds, les mains, la langue, et autre chose itou, avait ajouté le
pharmacien, avec un sourire canaille, se mettaient à croître sans mesure. Ce
n’était pas une maladie héréditaire. Elle pouvait se déclarer à n’importe quel
âge. On avait vu des gens de vingt-cinq ans en être soudain frappés.
Ils n’en
revenaient pas. Cripure était-il atteint de cette maladie avant d’épouser Toinette2 ?
Depuis ? La maladie s’était-elle déclarée pendant ? Et de rigoler !
Cripure
savait tout cela.
Louis
Guilloux, Le Sang noir, © Éditions Gallimard, 1935.
1. Maïa,
femme laide et sotte, est la compagne actuelle de Cripure.
2. Toinette,
qui était mariée à Cripure, l’a quitté pour un bel officier.
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