Commentaire de l'extrait 2 des Justes ( Corrigé)


Extrait 2 des Justes de Camus ( corrigé)

Intro d'après le corrigé de la scène d'exposition

En quoi cette scène est-elle révélatrice d’un débat moral ?

Nous verrons que cette scène est révélatrice de débat moral. En effet, d’une part, Kaliayev est en proie à un conflit intérieur moral et d’autre part l’attitude de Kaliayev amène tout le groupe à se poser la question de la moralité de l’assassinat politique.

I.                    La justification de Kaliayev

A. Les arguments de Kaliayev
Il n’a pas renoncé à lancer la bombe par lâcheté, mais au nom d’un principe moral : ne pas tuer les enfants présents dans la calèche du Grand Duc.( Il répète plusieurs fois le mot « enfants » l2.)  Ce qui n’était pas prévu dans le plan. Cf « je ne pouvais pas prévoir… »
Pour le prouver, il parle de sa détermination avant de voir les enfants : le lexique de la joie qu’il emploie témoigne de son bonheur à lancer la bombe : » heureux », « battre de joie », « battre plus fort » : Son cœur est exalté, son corps plein d’allant et d’énergie : « j’avais envie de bondir », il riait et disait « oui, oui » au geste qu’il allait accomplir. Il consent pleinement à l’acte terroriste comme le prouve la répétition du oui.
Mais à partir du moment où il a vu les enfants tristes dans la calèche, il ressent une incapacité physique à agir : « Mon bras est devenu faible », « mes jambes tremblaient ». Il a d’ailleurs « une attitude affaissée » quand il raconte (didascalie l.8), « une voix morne »  L.33
Il explique son refus de lancer la bombe par un scrupule moral : impossibilité de tuer des enfants, ce serait mal, de plus leur attitude triste l’a perturbé. Il s’est souvenu que déjà dans sa jeunesse en Ukraine avant la lutte révolutionnaire, alors qu’il aimait la vitesse en voiture, il n’avait peur de rien sauf « renverser un enfant ». Il imagine le résultat horrible d’un accident le « choc, cette tête frêle frappant la route, à la volée » l24-26 Kaliayev est un être sensible, qui a des principes moraux.

B. il est un homme déchiré. Son trouble est visible. Son attitude le prouve ( voir les didascalies)
Il veut persuader les autres du bien fondé de son refus de lancer la bombe. Il se sent très mal, a peur d’être rejeté par les autres. Il jette des regards vers eux pour trouver de l’aide : d’abord il cherche Stepan du regard : « lève les yeux vers Stepan «  car il sait que c’est lui qui lui sera le plus hostile. « il lève les yeux vers les autres », mais longtemps il ne reçoit en retour que du silence. « il tourne son regard de l’un à l’autre ». Il formule clairement son besoin de soutien : L20 «  regardez-moi, frères, regarde-moi Boria » « Aidez-Moi.. » L27
Didascalie « égaré », « attitude affaissé », « voix morne ». Il alterne exaltation et abattement : «  silence. Il regarde à terre. »
La ponctuation également montre son trouble. Son discours s’interrompt, ce que montre les trois points de suspension 4 fois dans sa première réplique. Ses phrases sont courtes ,  hâchées. Les exclamatives lorsqu’il raconte la scène de la vue des enfants montrent combien il est perturbé, en proie à une vive émotion. Il redit « je n’ai pas pu » ( lexique de l’impossibilité : l 2 je ne pouvais pas prévoir »,  l3. je n’ai jamais pu soutenir ce regard, l23 Oh non ! Je n’ai pas pu ») Il revit la scène traumatisante en la racontant .
Son conflit intérieur : passer pour un lâche, être accusé d’être traitre à la révolution alors qu’il a agi par souci moral, impossibilité de tuer des enfant le déchire : il a d’abord voulu se tuer » L30 je voulais me tuer » mais précise qu’il a besoin de l’avis des autres, ses « seuls juges » pour savoir s’il avait tort ou raison. Pour prouver son courage et sa détermination, il  propose de retourner lancer la bombe à la sortie du théâtre ( Utilise des verbes au futur) si le groupe décide qu’il faut accomplir l’assassinat du Grand Duc malgré la présence des enfants.( L34-36)

C.  Un homme seul face aux autres.
Aucun des personnages n’interrompt Kaliayev pendant sa longue tirade. Il s’exprime seul sans que quiconque ne vienne à son secours jusqu’au geste (l19 didascalie))  et à la parole de Dora qui répond à la question sur la présence des cloches l17 que Kaliayev interprète probablement comme un signe divin pour épargner les enfants. On peut imaginer que les regards qui convergent vers lui au début sont hostiles, froids, en tous les cas inquisiteurs, ils veulent savoir ce qui s’est passé : l1 Tous regardent Kaliayev ». Il cherche, lui, un regard plus fraternel mais ne le trouve pas vraiment. Les « silences » indiquent le trouble de Kaliayev mais aussi le trouble des autres et sa solitude car personne avant l’intervention de Dora ne semble vouloir apaiser son malaise.


II Un débat qui met en évidence des conceptions différentes de l’action révolutionnaire.
A.      Les arguments du débat.
Dans cette situation imprévue, Stepan pense qu’il aurait fallu continuer à accomplir le plan : l37 «  L’organisation t’avait commandé de tuer le grand-duc ». Selon lui un bon terroriste n’aurait pas dû prendre d’initiative pour changer le plan. ( «  Il devait obéir »). Kaliayev lui est d’un autre avis : on ne lui a pas commandé l’assassinat des enfants. Une fois de plus les deux hommes réagissent à l’opposé.
Les conséquences de l’attitude de Kaliayev sont une division du groupe des terroristes qui se remet en question. Ils sont abattus par l’échec : Annenkov, le chef se sent responsable de ne pas avoir tout prévu : l39 l41 à 44, mais il reprend la main en regardant vers l’avenir et en prenant une nouvelle décision après concertation avec les autres : il faut seulement décider si nous laissons définitivement échapper cette occasion ou si nous ordonnons à Yanek d’attendre à la sortie du théâtre. »
Dora, Voinov vont se mettre du côté de Yanek en disant qu’ils auraient fait comme lui : l44-46. Dora explique qu’elle ne peut reprocher à personne ce qu’elle aurait fait elle-même, Voinov est plus perturbé, lui a eu peur pendant l’attentat et semble traumatisé.

B.      L’opposition Dora/ Stepan.
Alors que Dora partage les scrupules moraux de Yanek, Stepan les traite de « niaiseries » l64.  Dans sa tirade l49-52 il va montrer par des questions rhétoriques que l’attitude de Yanek a fait perdre un temps précieux à l’Organisation. Sa véhémence se voit aux anaphores, aux reprises de certains mots : « deux mois de filatures, de terribles dangers courus évités, deux mois perdus à jamais » », reprise de « pour rien ». Il rappelle les sacrifices d’autres révolutionnaires : Egor, Rikov. Il insiste sur ce qu’implique d’avoir à recommencer l’action : « des filatures, des dangers, longues semaines de veille et de ruses, de tension incessante », surtout des risques « d’être pris » l54  Avec sa tirade, il met en accusation Yanek, le rend responsable du danger qu’il fait courir aux membres de l’organisation au point que Yanek souhaite partir «  Je pars » l 55
Mais Dora va retourner la situation en demandant à Stepan s’il pourrait tuer des enfants de sang froid :  « Pourras-tu, toi, Stepan, les yeux ouverts, tirer à bout portant sur des enfants ? » I56
Elle lui signale qu’il a fermé les yeux en répondant par l’affirmative et lui demande par une métaphore d’ « ouvrir les yeux » de la conscience : « l’Organisation perdrait ses pouvoirs et son influence si elle tolérait, un seul moment que des enfants soient broyés sous nos bombes ». L’action révolutionnaire doit rester du côté du bien moral, elle doit être « juste » pour que le peuple y adhère. Si L’organisation se montre aussi cruelle que le despotisme, elle perdra son soutien populaire et n’agira plus au nom de la justice. ( Le débat s’étendra sur toute la fin de l’acte II)

C.      Un groupe divisé, des personnalités qui s’opposent :
L’opposition qui d’abord plaçait Yanek seul contre les autres s’est retournée à la fin du texte en opposition entre le groupe et Stepan, isolé dans sa position extrême considérée par les autres comme immorale. Tuer des enfants serait mal pour eux  alors que pour Stepan seul compte le bien futur pour l’Organisation et le peuple russe de la destruction du despote : « Quand nous nous déciderons à oublier les enfants, ce jour-là, nous serons les maîtres du monde et la révolution triomphera ».

Conclusion : L’échec de l’attentat permet à Camus d’écrire une scène extrêmement émouvante en jouant du registre pathétique : Yanek désemparé suscite la pitié du lecteur et du spectateur tant il appelle au secours ses « frères » pour être justifié dans son acte d’avoir épargné les enfants. Mais la réaction de Stepan permet aussi le débat sur l’efficacité révolutionnaire et sur la difficulté d’assassiner tout en restant moralement pur. Pour lui la fin justifie les moyens, pour les autres pas. Ils veulent changer la société en demeurant « innocents », « justes ».

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